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Full text of "Lois set coutumes de la guerre sur terre : l'interprétation anglaise de l'article 23 du Règlement de La Haye"

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Lois  et  Coutumes 

de  la 

Guerre  sur  terre 


L’Interprétation  anglaise 
de  l’article  23H 
du  "Règlement  de  La  Haye 


EXT  HAIT  Dlï  LA  REVUE  GÉNÉRALE  DE  DROIT  INTERNATIONAL  PÜHL1C  / 


'•  POLiriM 

PROFESSEUR  AGRÉGÉ  A LA  FACULTÉ  DE  DROIT  DE  PARIS 
ASSOCIÉ  DE  L'INSTITUT  DE  DROIT  INTERNATIONAL 


PARIS 

A.  PEDONE,  Editeur 

de  la  “ Revue  générale  de  Droit  International  public 
et  du  Recueil  des  Arbitrages  Internationaux  ” 

•3,  huk  souffloï,  13 


1911 


T HE  UN1VERSITY 


OF  ILLINOIS 
LIBRARY 

Ml. 3 K 

P753f 

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Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2016 


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LOIS  ET  COUTUMES  DE  LA  GUERRE 
SUR  TERRE 

l’interprétation  anglaise 

DE  L’ARTICLE  23h  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  HAYE 


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Le  Règlement  annexé  à la  convention  de  la  Haye  concernant  les  lois 
«r*  et  coutumes  de  la  guerre  sur  terre  donne,  dans  son  article  23,  une  liste 
énonciative  des  moyens  de  nuire  à l’ennemi  dont  l’emploi  est  interdit 
aux  belligérants.  Sur  la  proposition  de  la  délégation  allemande,  la 
deuxième  Conférence  de  la  Paix  y a ajouté  un  nouveau  paragraphe  aux 
termes  duquel  il  est  interdit  « de  déclarer  éteints,  suspendus  ou  non 
recevables  en  justice  les  droits  et  actions  des  nationaux  de  la  partie 
adverse  ». 

j- 

Le  sens  de  cette  disposition  a paru  tout  d’abord  très  clair.  Tous  les 
auteurs  y ont  vu  le  développement  heureux  du  grand  principe  de  l’invio- 
labilité de  la  propriété  privée  ennemie  dans  la  guerre  sur  terre  ; l’exten- 
sion aux  biens  incorporels  de  l’immunité  des  biens  corporels  ; les  droits 
et  actions  des  sujets  ennemis  devaient  désormais  être  inviolables  ; la 
guerre  ne  devait  plus  pouvoir,  ni  par  elle-même,  ni  par  la  volonté  des 
belligérants,  affecter  la  validité  ou  l’exécution  des  contrats  privés.  La 
nouvelle  formule  a paru  condamner  d’anciens  usages,  conservés  encore 
dans  certains  pays,  comme  en  Angleterre,  notamment  celui  d’interdire 
T’accès  des  tribunaux  aux  sujets  ennemis. 

; Les  Étals  dont  la  pratique  était  ainsi  condamnée  ne  se  sont  pas  tout 
;de  suite  rendu  compte  de  la  portée  de  la  réforme.  Le  30  juin  1908,  à peu 
. près  tous  les  États  représentés  à la  Conférence  de  1907,  y compris  la 
^Grande-Bretagne,  ont  signé  la  convention  concernant  les  lois  et  coutu- 


386638 


2 l’article  23h  du  règlement  de  la  haye 

mes  de  la  guerre  sur  terre,  sans  faire  la  moindre  réserve  au  sujet  de  la 
disposition  de  l’article  23h.  Mais,  à la  réflexion,  certains  esprits  se  sont 
étonnés  qu’une  réforme  de  cette  importance  ait  pu  être  réalisée  aussi  faci- 
lement ; ils  se  sont  demandé  si  elle  avait  bien  la  portée  qu’on  lui  a gé- 
néralement assignée  ; des  doutes  ont  été  émis.  Dans  le  commentaire 
officiel  de  la  convention,  publié  par  le  War  Office  anglais,  le  professeur 
Holland, après  avoir  dit  {The  laws  of  war  on  land, Londres, 1908, p.  5)  que 
l’article  23h  semble  imposer  aux  puissances  contractantes  l’obligation 
de  supprimer,  dans  leurs  lois,  l’incapacité  des  sujets  ennemis  d’ester  en 
justice,  a fait  remarquer  que  si  telle  est  la  portée  du  texte,  il  est  mal 
placé  dans  un  Règlement  d’ordre  militaire, et  il  a suggéré  l’avis  que,  te- 
nant compte  de  la  place  où  il  se  trouve,  il  est  peut-être  possible  de  ne 
donner  à sa  disposition  que  la  valeur  d’une  règle  pour  la  conduite  des 
armées  en  campagne,  comme  aux  autres  paragraphes  de  l’article  23  [op. 
cit.,  p.  44).  La  solution  simplement  suggérée  par  M.  Holland  a été  don» 
née  comme  certaine  et  comme  allant  de  soi  par  un  des  délégués  améri- 
cains à la  Conférence,  le  général  G.  B.  Davis,  d’abord  dans  un  article 
de  revue  {American  Journal  of  international  law , t.  II,  1908,  p.  70),  puis 
dans  un  ouvrage  de  fond  ( Eléments  of  international  law , 3e  édit.,  1908, 
p.  578,  note  1).  En  Angleterre, le  War  Office  s’est  rallié  à cette  interpréta- 
tion que  le  Foreign  Office  vient  de  faire  officiellement  sienne  dans  une 
correspondance  qui,  rendue  publique,  mérite  d’être  connue  (1). 


• ★ 

* * 

Le  28  février  1911,  le  professeur  Oppenheim,  de  Cambridge,  adressait 
au  sous-secrétaire  d’État  pour  les  affaires  étrangères  la  demande  de  ren- 
seignements que  voici  : 

Monsieur,  je  prends  la  liberté  de  soumettre  à votre  examen  la  question  sui- 
vante : Ayant  eu,  au  cours  de  mes  récents  travaux,  à m’occuper  des  lois  et  usa- 
ges de  la  guerre  sur  terre,  j’ai  dû  étudier  l’interprétation  de  l’article  23h  du  Règle- 
ment annexé  à la  convention  de  1907  concernant  les  lois  et  coutumes  de  la 
guerre  sur  terre.  Je  trouve  que  l’interprétation  qui  prévaut  chez  les  auteurs  du 
continent  et  chez  quelques  auteurs  anglais  et  américains  est  contraire  à la  vieille 
règle  anglaise.  Je  demande  respectueusement  à connaître  l’opinion  du  gouver- 
nement de  S.  M.  sur  l’article  en  question. 


(1)  La  correspondance  traduite  ici  a fait  l’objet  d’une  brochure,  distribuée  par  le  pro- 
fesseur Oppenheim  à ses  collègues  de  l’Institut  de  droit  international,  lors  de  la  session 
tenue  par  l’Institut  à Madrid,  en  avril  1911. 


L ARTICLE  23h  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  HAYE 


3 


Pour  donner  une  idée  de  la  manière  dont  l’interprétation  généralement  reçue 
de  l’article  23h  s’écarte  de  la  vieille  règle  anglaise,  je  citerai  un  certain  nombre 
d’auteurs  français,  allemands,  anglais  et  américains  dont  je  possède  les  ouvrages 
dans  ma  bibliothèque  ; je  citerai  aussi  le  Livre  blanc  allemand  sur  les  résultats 
de  la  deuxième  Conférence  de  la  Haye  de  1907. 

Bonfils,  Manuel  de  droit  international  public , 5e  édit.,  par  Fauchille,  1908,  dis- 
cute (p.  651)  la  doctrine  qui  dénie  aux  sujets  ennemis  la  capacité  standi  in  judicio , 
mais  ajoute  : « L’article  23h  décide  qu’il  est  interdit  de  déclarer  éteints, suspendus 
ou  non  recevables  en  justice,  les  droits  et  actions  des  nationaux  de  la  partie 
adverse  ». 

Politis,  professeur  de  droit  international  à l’Université  de  Poitiers,  dans  son 
rapport  à l’Institut  de  droit  international,  session  de  Paris  (1910),  concernant  les 
Effets  de  la  guerre  sur  les  obligations  internationales  et  les  contrats  privés  [ Annuaire 
de  l'Institut  de  droit  international,  t.  XXIII,  p.  268],  dit  : « Un  point  hors  de  doute, 
c’est  que  la  guerre  ne  peut,  ni  par  elle-même,  ni  par  la  volonté  des  belligérants, 
affecter  la  validité  ou  l’exécution  des  contrats  antérieurs.  Cette  règle  fait  désor- 
mais partie  du  droit  positif.  L’article  23h  du  nouveau  Règlement  de  la  Haye  inter- 
dit formellement  aux  belligérants  u de  déclarer  éteints,  suspendus  ou  non  rece- 
vables en  justice  les  droits  et  actions  des  nationaux  de  la  partie  adverse  ».  Cette 
formule  condamne  d’anciens  usages  conservés  encore,  en  partie,  dans  certains 
pays.  Elle  proscrit  d’abord  tous  les  moyens  — annulation  ou  confiscation  — par 
lesquels  on  chercherait  à atteindre,  dans  leur  existence,  les  droits  nés  avant  la 
guerre.  Elle  exclut,  en  second  lieu,  l’ancienne  pratique  qui  interdisait  aux  parti- 
culiers ennemis  l’accès  des  tribunaux.  Elle  prohibe,  enfin,  toutes  les  mesures 
législatives  ou  autres  tendant  à entraver  au  cours  de  la  guerre  l’exécution  ou  les 
effets  utiles  des  obligations  privées,  notamment  le  cours  des  intérêts.  Il  y a là  un 
progrès  incontestable.  Et  l’on  doit  être  reconnaissant  à la  délégation  allemande 
à la  deuxième  Conférence  de  la  Paix  de  l’avoir  provoqué.  L’accueil  empressé  et 
unanime  qu’a  reçu  cette  heureuse  initiative  permet  d’espérer  que  de  nouveaux 
progrès  pourront  être  réalisés  dans  cet  ordre  d’idées.  On  doit  souhaiter  que  la 
disposition  de  l’article  23h,  étrangère  à l’hypothèse  de  l’occupation  du  territoire 
ennemi,  soit  distraite  du  Règlement  de  1907  (comme  les  articles  57  à 60  l’ont  été 
du  Règlement  de  1899)  pour  être  mieux  placée  dans  une  convention  nouvelle  où 
d’autres  textes  viendraient  la  compléter  ». 

Ullmann,  Vôlkerrecht , 2e  édit.,  1908,  p.  474,  dit  : «Les  rapports  juridiques  ne 
sont  pas  davantage  rompus  ou  entravés  par  l’ouverture  de  la  guerre. L’article  23h 
condamne  le  vieil  usage  du  droit  interne  qui  prive  l’Etat  ou  les  particuliers  du 
droit  d’agir  en  justice,  à raison  d’obligations  privées,  contre  les  sujets  de  l’en- 
nemi ». 

Wehberg,  Bas  Beuterecht  im  Land-und  Seekriege,  1909,  p.  5 et  6,  dit  : « L’arti- 
cle 46,  alinéa  2,  dispose  : « La  propriété  privée  ne  peut  pas  être  confisquée  ».  En 
conséquence  de  cette  règle,  l’article  23h>  dû  à une  proposition  allemande  en  1907, 
de'cide  que  « il  est  interdit  de  déclarer  éteints,  suspendus  ou  non  recevables  en 
justice  les  droits  et  actions  des  nationaux  de  la  partie  adverse  ». 

Whittuck,  International  Documents , Londres,  1908,  Introduction,  p.  XXVIII,  dit  : 

» L’article  23h  interdit  de  déclarer  éteints....  etc.  ; c’est  un  développement  du 
principe  que  la  propriété  privée  ennemie  ne  peut  pas  être  confisquée.  Si  ce  pays 


4 


l’article  23h  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  HAYE 


accepte  cette  nouvelle  prohibition,  il  sera  nécessaire  d’apporter  des  modifications 
à notre  droit  interne  ». 

Rolland,  The  laws  of  war  on  land , 1908,  p.  5,  dit  : « L’article  23h  semble  impo- 
ser aux  puissances  contractantes  l’obligation  de  prendre  des  mesures  législatives 
pour  supprimer  l’incapacité  de  l’ennemi  d’être  une  persona  standi  in  judicio  » 
(V.  aussi  Holland,  op.  cit .,  p.  44,  où  il  émet  des  doutes  sur  l’interprétation  de 
l’art.  23h). 

Bordwell,  The  law  of  war  between  belligerents , Chicago,  1908,  p.  210,  reconnaît 
que,  d’après  l’article  23h,  un  étranger  ennemi  doit  désormais  être  admis  à ester 
en  justice  chez  un  belligérant. 

Gregory,  professeur  à l’Université  d’Iowa,  rendant  compte  dans  Y American 
Journal  of  international  law , t.  111  (1909),  p.  788,  de  l’ouvrage  de  Bordwell  par- 
tage la  même  opinion. 

Le  seul  auteur  qui  interprète  l’article  23h  d’une  manière  différente  est  Je  géné  - 
ral  Davis.  Dans  ses  Eléments  of  international  law , 3e  édit.,  1908,  p.  578,  note  1. 
il  dit  (1)  : « [L’article  23  indique  un  certain  nombre  d’actes  dont  l’emploi  est 
interdit  aux  belligérants  au  cours  de  leurs  opérations  militaires.  Le  but  certain 
de  la  convention  de  1899  a été  d’imposer  à l’autorité  des  généraux  et  de  leurs 
ubordonnés,  sur  le  théâtre  des  hostilités,  un  certain  nombre  de  restrictions  rai- 
sonnables et  utiles].  Il  est  très  probable  que  cet  excellent  but  humanitaire  serait 
manqué  si  un  chef  militaire  croyait  avoir  le  droit  de  suspendre  ou  d’annuler  l'effet 
de  ces  prescriptions  ou  de  faire  dépendre  leur  application,  dans  certains  cas,  de 
son  pouvoir  discrétionnaire.  Il  en  est  spécialement  ainsi  lorsqu’un  officier  refuse 
d’accueillir  des  griefs  bien  fondés  ou  des  demandes  de  réparation,  en  raison  des 
actes  ou  de  la  conduite  de  ses  troupes,  de  la  part  de  personnes  soumises  à la 
juridiction  de  l’ennemi  fonctionnant  sur  le  territoire  occupé  militairement.  Pour 
prévenir  cette  éventualité,  il  a paru  sage  d’ajouter  aux  prohibitions  de  l’article  23 
une  clause  à ce  appropriée  » . 

Il  est  fort  regrettable  que  l’ouvrage  du  général  Davis  ne  soit  pas  du  tout  connu 
sur  le  continent  et  que,  dès  lors,  les  auteurs  continentaux  n’aient  pas  su  qu’un 
auteur  américain  donne  à l’article  23h  une  interprétation  différente  de  la  leur. 

Il  est  de  même  regrettable  que  ni  le  Livre  bleu  anglais  relatif  à la  deuxième 
Conférence  de  la  Paix  de  la  Haye  (V.  Parliamentary  Papers,  Miscellaneous,  n°  4, 
1907,  p.  104),  ni  les  procès-verbaux  officiels  des  travaux  de  la  Conférence,  pu- 
bliés par  le  gouvernement  hollandais,  ne  fournissent  sur  la  portée  de  l’article  23h 
des  renseignements  propres  à permettre  à un  jurisconsulte  de  se  faire,  à cet 
égard,  une  opinion  exacte. 

Il  est  toutefois  important  de  noter  que  l’article  23h  est  une  addition  à l’article  23 
proposée  par  l’Allemagne, et  que  l’Allemagne  donne  à cet  article  une  interpréta- 
tion qui  paraît  concorder  avec  celle  des  auteurs  du  continent.  C’est  ce  qui  ré- 
sulte du  Livre  blanc  allemand,  Ueber  die  Ergebnisse  der  im  Jahre  1907  in  Haag 
abgehaltenen  Friedenskonferenz- , qui  contient,  p.  7,  le  passage  suivant  : « L’arti- 
cle 23  a de  même  reçu,  sur  une  proposition  allemande,  deux  importantes  addi- 
tions. Par  la  première,  le  principe  fondamental  de  l’inviolabilité  de  la  propriété 

(1)  Je  traduis  en  entier  le  passage  cité  en  partie  seulement  par  M.  Oppenheim,  pour 
mieux  faire  saisir  la  pensée  de  l’auteur. 


LARTICLE  23h  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  HAYE 


O 


privée  est  reconnu  aussi  en  matière  d’obligations.  D’après  la  législation  de  cer- 
tains États,  la  guerre  doit  avoir  notamment  pour  effet  d’éteindre,  de  suspendre 
provisoirement  ou  tout  au  moins  de  rendre  non  recevables  en  justice  les  droits 
de  créance  de  l’État  ou  de  ses  nationaux  contre  les  nationaux  de  l’ennemi.  Dé- 
sormais, en  vertu  de  l’article  23,  alinéa  1er,  litt.  h,  les  dispositions  de  cette  nature 
sont  déclarées  inadmissibles  ». 

Quoiqu’il  en  soit,  les  renseignements  qui  précèdent  montrent  assez  que  l’inter- 
prétation de  l’article  23'»  admise  sur  le  continent,  et  adoptée  par  un  certain  nom- 
bre d’auteurs  anglais  et  américains,  est  contraire  à la  vieille  règle  anglaise.  C’est 
pourquoi  je  voudrais  savoir  si  le  gouvernement  de  S.  M.  considère  la  vieille  rè- 
gle anglaise  comme  étant  toujours  en  vigueur.  — Je  suis  etc. 

L.  Oppicniieim. 


* * 


A cette  lettre  le  Foreign  Office  a répondu,  le  27  mars  1911,  en  ces 
termes  : 

Monsieur,  le  secrétaire  d’État  sir  E.  Grey  me  charge  de  vous  remercier  d’avoir 
bien  voulu,  par  votre  lettre  du  28  février,  appeler  son  attention  sur  les  concep- 
tions erronées  qui  paraissent  avoir  si  largement  cours  chez  les  auteurs  de  droit 
international  du  continent  au  sujet  du  sens  et  de  l’effet  de  l’article  23h  de  la  con- 
vention du  18  octobre  1907  concernant  les  lois  et  les  coutumes  de  la  guerre  sur 
terre. 

Il  semble  bien  étrange  que  des  jurisconsultes  de  valeur  comme  ceux  dont  vous 
avez  cité  les  ouvrages  aient  attribué  à l’article  en  question  le  sens  et  l’effet  qu’ils 
lui  ont  donnés,  s’ils  ont  étudié  l’économie  générale  de  l’instrument  où  il  est 
contenu. 

Le  texte  est  inséré  à la  fin  d’un  article  traitant  des  moyens  de  nuire  interdits 
aux  belligérants. Il  fait  partie  du  chapitre  I de  la  section  II  du  Règlement  annexé 
à la  convention.  Le  titre  du  chapitre  I est  « des  moyens  de  nuire  à l’ennemi,  des 
sièges  et  des  bombardements  ».  Si  on  examine  l’article  23,  on  voit  qu’il  s’occupe 
de  l’emploi  du  poison  ou  d’armes  empoisonnées,  du  refus  de  quartier,  de  l’usage 
de  moyens  perfides,  de  la  destruction  injustifiée  de  la  propriété  privée.  De  même, 
tous  les  articles  suivants  (24-  à 28)  traitent  des  restrictions  que,  dans  un  esprit 
d’humanité,  les  nations  acceptent  d’imposer  à la  conduite  de  leurs  armées,  au 
cours  des  opérations  militaires. 

Le  Règlement  où  figurent  ces  articles  est  lui-même  annexé  à la  convention 
qui  forme  l’unique  obligation  contractuelle  des  parties  ; et  l’engagement  que 
les  parties  contractantes  ont  accepté  est  (art.  1er)  de  donner  « à leurs  forces  ar- 
mées de  terre  des  Instructions  qui  seront  conformes  au  Règlement  concernant 
les  lois  et  coutumes  de  la  guerre  sur  terre  ». 

Il  est  dès  lors  tout  à fait  manifeste  que  l’objet  et  le  but  du  Règlement  sont  li- 
mités à la  conduite  des  armées  en  campagne  ; ces  armées  sont  sous  les  ordres  de 


6 


L’ARTICLE  23h  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  HAYE 


leurs  chefs,  et  les  gouvernements  sont  tenus  de  donnera  ces  chefs  des  I struc- 
tions  pour  agir  conformément  au  Règlement.  Voilà  tout.  Rien  dans  la  conven- 
tion ni  dans  le  Règlement  n’a  trait  aux  droits  ou  à la  condition  des  non-combat- 
tants de  nationalité  ennemie  ou  domiciliés  sur  le  territoire  ennemi.  S’ils  habitent 
le  théâtre  de  la  guerre,  ils  sont,  évidemment,  touchés  par  les  dispositions  du 
Règlement,  par  cela  même  qu’ils  le  sont  par  les  opérations  militaires  : dans  un 
certain  sens,  la  règle  qui  interdit  à un  chef  militaire  d’empoisonner  une  source 
donne  à l’habitant  non-combattant  le  droit  ou  le  quasi-droit  de  ne  pas  avoir  sa 
source  empoisonnée  ; mais  ses  droits  vis-à-vis  de  ses  voisins,  ses  relations  avec 
les  personnes  privées,  de  sa  nationalité  ou  de  la  nationalité  ennemie,  ne  sont 
nullement  affectés  par  les  règles  édictées  pour  la  poursuite  des  hostilités  conti- 
nentales. 

En  ce  qui  concerne  le  texte  de  l’article  23,  on  voit  qu’il  commence  par  les 
mots  « de  déclarer  » : il  est  notamment  interdit  « de  déclarer  éteints, etc...  ».Ces 
termes  visent  nécessairement  une  proclamation  ou  notification  tendant  à abroger 
ou  à changer  des  droits  antérieurs  qui,  autrement,  auraient  continué  d’exister  ; 
et,  conformément  à l’article  1er  de  la  convention,  pareille  proclamation  doit  être 
de  celles  que  le  chef  militaire  pourrait  faire  ; par  conséquent,  entendu  large- 
ment, l’article  23*»  a pour  effet  d’interdire  au  chef  d’une  armée  en  campagne 
de  chercher  à terroriser  les  habitants  du  théâtre  de  la  guerre  en  les  privant  des 
occasions  qui  existent  pour  eux  d’obtenir  la  réparation  à laquelle  ils  ont  droit  en 
matière  de  réclamations  privées. 

Sir  E.  Grey  vous  sait  très  grand  gré  d’avoir  attiré  son  attention  sur  le  passage 
que  vous  avez  cité  du  Livre  blanc  allemand.  Ce  passage  peut  être  traduit  de  la 
manière  suivante:  « ...  (V.  ci-dessus,  p.  b).  » 

Le  texte  original  de  l’addition  proposée  à l’article  23  par  les  délégués  allemands 
était  ainsi  conçu  : « de  déclarer  éteintes,  suspendues  ou  non  recevables  les 
réclamations  privées  des  ressortissants  de  la  partie  adverse  » (V.  le  procès-verbal 
de  la  2e  séance  de  la  lre  sous-Commission  de  la  2e  Commission,  du  10  juillet  1907). 

Rien  ne  montre  qu’une  explication  ait  été  fournie  établissant  que  l’addition 
proposée  à l’article  était  conçue  de  manière  à avoir  une  signification  supérieure 
à celle  qu’impliquent  nécessairement  ses  termes  ; dans  le  procès-verbal  de  la 
lre  séance  de  la  lre  sous-Commission  de  la  2e  Commission,  du  3 juillet,  il  y a eu 
bien,  de  la  part  d’un  délégué  allemand,  un  exposé  se  référant  selon  toute  pro- 
babilité à cet  amendement  particulier,  mais  le  procès-verbal  ne  permet  pas  d’en 
saisir  clairement  le  sens  ; d’ailleurs,  cet  exposé  n’est  pas  exempt  d’ambiguïté.  A 
la  seconde  séance,  un  amendement  fut  proposé  et  accepté,  tendant  à ajouter  les 
mots  « en  justice  » après  les  mots  « non  recevables  »,  et,  dans  cette  forme,  l’ali- 
néa fut  pris  en  considération  par  un  Comité  d’examen,  accepté  et  inséré  dans 
l’article  23,  présenté  à la  Conférence  et  adopté  par  elle  dans  sa  4e  séance  plénière 
du  17  août  1907. 

Le  changement  apporté  ultérieurement  à la  rédaction  du  texte  doit  avoir  été 
opéré  par  le  Comité  de  rédaction,  mais  il  n’a  pas  pu  être  fait  avec  le  dessein  de 
modifier  le  fond  de  la  disposition.  A la  10e  séance  plénière  du  17  octobre  1907, 
le  rapporteur  du  Comité  de  rédaction,  parlant  des  amendements  de  forme  faits  à 
cette  convention,  s’est  borné  à dire  : « En  ce  qui  concerne  le  Règlement  lui- 
même,  je  n’appelferai  pas  votre  attention  sur  les  différentes  modifications  de 
style  sans  importance  que  nous  y avons  introduites  ». 


l’article  23h  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  HAYE  7 

Rien  non  plus,  dans  le  rapport  sur  le  projet  de  convention  présenté  à la  Confé- 
rence en  séance  plénière  (annexe  A au  procès-verbal  de  la  4e  séanqe  plénière;, 
n’indique  une  interprétation  aussi  large  que  celle  du  Livre  blanc  allemand.  Le 
rapport  dit  simplement  que  l’addition  est  considérée  comme  précisant  en  termes 
très  heureux  l’une  des  conséquences  des  principes  admis  en  1999. 

Il  en  résulte,  pour  sir  E.  Grey,  que  ni  les  termes,  ni  le  contexte  de  la  disposi- 
tion de  l’article  23h,  ni  les  circonstances  de  son  adoption  ne  confirment  l’inter- 
prétation donnée  par  les  auteurs  que  vous  citez,  et  acceptée  par  le  Livre  blanc 
allemand. 

Sir  E.  Grey  fait  observer  que,  dans  le  passage  cité  par  vous,  après  avoir  indi- 
qué sa  manière  d’interpréter  l’article,  M.  Politis  remarque  qu’il  est  complètement 
étranger  à l’hypothèse  de  l’occupation  de  territoire  et  qu’il  doit  être  distrait  du 
Règlement  pour  être  placé  dans  une  convention  nouvelle.  Si  l’interprétation  de 
M.  Politis  était  correcte,  son  observation  serait  certainement  vraie  ; mais  le  fait 
que  le  texte  est  placé  là  où  il  se  trouve  aurait  dû  amener  M.  Politis  à penser 
qu’il  ne  comporte  pas  l’interprétation  qu’il  lui  assigne. 

Sir  E.  Grey  ne  croit  pas  non  plus  que  la  disposition  contredise  le  principe  du 
droit  commun  anglais  d’après  lequel  le  sujet  ennemi  n’est  pas  admis  à ester  en 
justice  pour  faire  respecter  un  contrat,  car  le  commerce  avec  les  sujets  ennemis 
est  illégal. 

Ce  principe  s’applique  automatiquement  dès  l’ouverture  de  la  guerre.  Pour 
recevoir  application,  il  ne  requiert  aucune  déclaration,  ni  du  gouvernement,  ni, 
encore  moins,  du  chef  d’une  année  en  campagne.  Il  vaut  aussi  bien  dans  la 
guerre  maritime  que  dans  la  guerre  terrestre,  et  devant  toutes  les  Cours  de  jus- 
tice et  non  seulement  dans  les  limites  du  théâtre  des  opérations  des  chefs  mili- 
taires. 

Il  sera  peut-être  nécessaire  de  soumettre  à un  nouvel  examen  toute  la  ques- 
tion de  l’effet  de  la  guerre  sur  le  commerce  des  particuliers. Les  anciennes  règles 
semblent  difficilement  conciliables  avec  les  exigences  ou  les  conditions  du  com- 
merce moderne.  Mais  la  modification  de  ces  règles  est  une  question  que  le  gou- 
vernement de  S.M.  ne  saurait  résoudre  sans  un  examen  attentif  et  soigné.  Si  elle 
doit  être  résolue,  elle  ne  pourra  l’être  qu’au  moyen  d’une  convention  applicable 
aussi  bien  à la  guerre  maritime  qu’à  la  guerre  terrestre. 

Le  gouvernement  de  S.  M.  n’a  certainement  pas  adhéré  à pareille  réforme  en 
contractant  une  convention  qui  a uniquement  trait  aux  Instructions  à donner 
aux  commandants  de  ses  forces  armées  et  dont  l’efTet  est  limité  à la  guerre  sur 
terre.  — Je  suis,  etc. . . 

* F.  A.  Campbell. 


Il  ne  semble  pas  que  les  arguments  développés  par  le  Foreign  Office 
soient  de  nature  à faire  changer  d’avis  ceux  qui  ont  vu  dans  l’article  23h 


8 


LARTICE  23h  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  HAYE 


une  règle  de  droit  général  touchant  les  effets  de  la  guerre  sur  les  rapports 
privés.  Pour  dégager  le  sens  de  cette  disposition,  il  leur  a suffi  d’en 
rapprocher  le  texte  des  précédents  historiques  et  de  tenir  compte  du 
but  poursuivi  par  ses  promoteurs.  Aux  autorités  citées  dans  ce  sens  par 
le  professeur  Oppenheim,  on  peut  ajouter  notamment  : 

Pour  le  continent,  le  rapport  des  délégués  helléniques  à la  Conférence 
(Livre  blanc  grec,  La  deuxième  Conférence  de  la  Paix  de  1907,  t.  I,  p.  48); 
Nippold,  Die  Zweite  Haager  Friedenskonferenz,  dans  la  Zeitschrift  fur 
internationales  Privat-und  Oeffentliches  Recht , t.  XIX,  1909,  p.  388  ; 
Despagnet,  Cours  de  droit  international  public,  5e  édit.,  par  de  Boeck, 
Paris,  1910,  p.  825  ; 

Pour  les  États-Unis,  J.  B.  Scott,  The  Hague  Peace  Conférences,  Balti- 
more, 1900,  t.  I,  p.  526; 

Pour  l’Amérique  latine,  De  Bustamante  y Sirven,  La  deuxième  Confè- 
rence delà  Paix,  trad.  franc.,  par  G.  Scelle,  1909,  n.  224,  p.  256-257  ; 

Pour  la  Grande-Bretagne  enfin,  Coleman  Phillipson,  The  effect  of  war 
on  contracts,  Londres,  1909,  p.  46;  A.  Pearce  Higgins,  The  Hague  Peace 
Conférences  and  other  international  Conférences  concerning  the  laws  and 
usages  of  war,  Cambridge,  1909,  p.  263-265,  et  surtout,  Lawrence,  Prin- 
cipes of  international  law , 4e  édit.,  Londres  1910,  p.  358-360. 

A cette  opinion  unanime  de  la  doctrine,  on  ne  peut  opposer  qu’un  seul 
avis  : celui  d’un  éminent  militaire,  qui  n’est  pas  jurisconsulte.  Se  fiant 
aux  apparences,  le  général  Davis  a présenté  la  disposition  nouvelle 
comme  ayant  la  même  valeur  que  les  autres  paragraphes  de  l’article  23. 
Mais  il  n’a  pas  motivé  son  opinion.  L’importance  de  l’innovation  n’a  pas, 
au  contraire,  échappé  à la  science  profonde  et  avertie  du  professeur 
Holland.  Il  s’est  étonné  qu’une  si  grande  réforme  ait  pu  être  réalisée  par 
le  texte  final  d’une  énumération  se  rapportant  à un  tout  autre  ordre 
d’idées,  et  sans  toutefois  le  faire  sien,  ü a suggéré  l’avis  que  peut-être 
après  tout  l'article  23h  n’a  trait  qu’à  la  conduite  des  armées  en  campa- 
gne. 

C’est  principalement  sur  cet  argument  de  texte  que  le  Foreign  Office 
base  aujourd’hui  son  opinion  : l’article  23h  se  trouve  dans  un  Règlement 
indiquant  les  Instructions  que  les  États  en  guerre  doivent  donner  à leurs 
armées  ; il  fait  partie  d’une  énumération  d’actes  interdits  aux  belligé- 
rants sur  le  théâtre  des  hostilités  ; il  a dès  lors  la  même  portée  que  les 
autres  dispositions  du  Règlement,  le  même  sens  que  les  autres  paragra- 
phes de  l’article  23;  il  vise  la  conduite  des  chefs  militaires,  il  n’a  nulle- 
ment trait  aux  obligations  des  États  eux-mêmes. 


l’article  23  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  RAYE 


9 


Apparemment  logique,  le  raisonnement  manque  au  fond  de  base.  C’est 
une  règle  de  bon  sens  que  V interprétation  qui  rendrait  un  acte  nul  et  sans 
effet  ne  peut  pas  être  admise  ; il  faut  l'interpréter  de  manière  qu'il  puisse 
avoir  son  effet,  quil  ne  se  trouve  pas  vain  et  illusoire  (Vattel,  Le  droit  des 
gens , liv.  II,  chap.  XVII,  §283).  Or  si  l’article  23h  ne  vise  à établir  qu’une 
règle  de  conduite  pour  les  armées  en  campagne,  il  n’a  pas  de  sens  : les 
chefs  militaires  n’ont  ni  l’occasion  ni  le  moyen  de  faire  ce  que  le  texte 
a pour  but  d’interdire.  Une  armée  d’invasion  trouve  les  sujets  de  l’ennemi 
chez  eux,  sous  l’empire  de  leurs  lois,  sous  l’autorité  de  leurs  tribunaux  ; 
ces  lois,  elle  doit  les  respecter  ; ces  tribunaux,  elle  doit  les  laisser  fonc- 
tionner, à moins  de  besoin  absolu  imposé  par  le  souci  de  sa  sécurité  ou 
le  succès  de  ses  opérations  (art.  43  du  Règlement  de  la  Haye  de  1907). 
On  ne  voit  pas  par  suite  de  quelle  nécessité  de  guerre  elle  pourrait  pro- 
clamer l’extinction,  la  suspension  ou  la  non-recevabilité  en  justice  des 
créances  des  particuliers.  Elle  doit,  au  contraire  (art.  46  du  Règlement), 
respecter  la  propriété  privée,  sous  quelque  forme  qu’elle  se  présente, 
mobilière  ou  immobilière,  corporelle  ou  incorporelle.  Le  général  Davis, 
qui  a raisonné  dans  la  même  hypothèse,  n’a  en  vue  que  les  réclama- 
tions des  habitants  du  territoire  occupé  contre  la  conduite  des  militaires, 
il  n’a  pas  et  il  ne  pouvait  pas  songer  aux  procès  ordinaires  relatifs  à 
l’exécution  des  contrats  privés. 

. L’article  23h  ne  peùt  avoir  un  sens  que  si  on  le  rattache  aux  effets  de 
la  guerre  et  aux  obligations  qui  incombent  aux  belligérants  sur  leur 
propre  territoire.  Il  devient  très  clair  et  d’une  portée  très  pratique  s’il  a 
en  vue  ce  moyen  de  nuire  qui,  survivance  de  la  vieille  doctrine  de  l’in- 
terdiction de  commerce,  consiste  à fermer  l’accès  des  tribunaux  aux 
sujets  de  l’adversaire  venant  revendiquer  les  droits  que  des  contrais  an- 
térieurs à la  guerre  ont  fait  naître  à leur  profit.  Déjà  tous  les  États  civi- 
lisés ont  renoncé  à ce  moyen  de  nuire  vis-à-vis  des  ennemis  qui,  malgré 
la  guerre,  demeurent  sur  le  territoire.  Et  s’il  en  est  qui  le  tiennent  tou- 
jours en  réserve  dans  leurs  lois  contre  les  ennemis  habitant  hors  du  ter- 
ritoire, il  est  peu  probable  qu’ils  en  fassent  usage  dans  les  guerres  de 
l’avenir.  L’enchevêtrement  des  rapports  internationaux  a fait  perdre  à 
cette  mesure  toute  efficacité.  Il  l’a  rendue  plus  nuisible  qu’utile  à qui  la 
prend.  Sa  condamnation,  réclamée  par  les  nécessités  de  la  vie  économi- 
que des  peuples,  s’imposait  dans  le  droit  moderne  de  la  guerre,  qui 
proscrit  toutes  les  rigueurs  inutiles. 

C’est  bien  dans  cet  esprit  que  la  délégation  allemande  avait  proposé 
en  1907  l’addition  faite  à l’article  23.  Le  Foreign  Office  soutient,  il  est 
vrai,  que  nulle  explication  précise  n’a  été  fournie  à cet  égard  à la  Confé- 


10 


l'article  23h  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  HAYE 


rence  ; il  estime  que  l'exposé  présenté  par  le  délégué  allemand,  M.  Gop- 
pert,  à la  première  séance  de  la  première  sous-Commission  de  la 
deuxième  Commission,  le  3 juillet  1907,  est  ambigu  et  que  le  procès-ver- 
bal de  la  séance  ne  permet  pas  d’en  saisir  le  sens  exact.  Mais,  pour  en 
juger,  il  suffit  de  reproduire  la  teneur  du  procès-verbal  (Actes  et  docu- 
ments de  la  Conférence , t.  III,  p.  103)  : 

Sur  l’invitation  du  Président, 

« Le  major-général  de  Gründeil,  délégué  militaire  d’Allemagne,  donne 
lecture  des  propositions  de  sa  délégation  (annexe  2)  » [ibid.,  t.  III, 
p.  m\. 

Parmi  ces  propositions,  au  nombre  de  cinq,  se  trouvait  celle  qui  avait 
trait  à l’alinéa  h de  l’article  23. 

« M.  Gôppert,  délégué-adjoint  d’Allemagne,  explique  que  cette  propo- 
sition (1)  tend  à ne  pas  restreindre  aux  biens  corporels  l’inviolabilité  de 
la  propriété  ennemie  et  qu’elle  vise  tout  le  domaine  des  obligations  en 
vue  de  prohiber  toutes  les  mesures  législatives  qui,  en  temps  de  guerre, 
mettraient  le  sujet  d’un  État  ennemi  dans  l’impossibilité  de  poursuivre 
l’exécution  d’un  contrat  devant  les  tribunaux  de  la  f( partie  adverse  ». 

Les  termes  de  cette  déclaration,  que  j’ai  soulignés  à dessein,  me  pa- 
raissent établir  jusqu’à  l’évidence  l’intention  de  la  délégation  allemande. 
Elle  entendait  proposer  une  règle  de  droit  obligatoire  pour  les  États  bel- 
ligérants eux-mêmes,  puisqu’elle  visait  formellement,  pour  les  interdire, 
certaines  mesures  législatives.  Elle  n’avait  pas  du  tout  en  vue  l’hypothèse 
imaginée  depuis  par  le  général  Davis,  ni  celle  du  Foreign  Office , d’un 
commandant  militaire  cherchant  à terroriser  la  population  du  pays  en- 
vahi, puisqu’elle  demandait  pour  les  sujets  de  l’ennemi  la  liberté  d’ester 
en  justice,  non  dans  leur  pays,  mais  devant  les  tribunaux  de  la  partie 
adverse. 

Il  est  permis  de  penser  qu’après  cet  exposé  il  ne  pouvait  pas  y avoir 
de  méprise  sur  la  portée  véritable  du  texte  proposé.  Il  est  sans  doute 
fâcheux  que  la  proposition  allemande  n’ait  pas  fait  l’objet  d’un  plus  large 
débat.  Mais  cela  ne  suffit  pas  pour  remettre  en  cause  une  réforme  régu- 
lièrement adoptée.  Si  elle  n’a  pas  été  contestée  devant  la  Conférence, 
c’est  qu’elle  n’a  pas  paru  contestable.  Si  la  Grande-Bretagne  avait  quelque 

(1)  C’est  ici  sans  doute  qu’il  y a l’ambiguïté  reprochée  à l’exposé  par  le  Foreign  Office. 
Il  y avait  cinq  propositions  allemandes.  M.  Gôppert  parle  de  cette  proposition.  Quelle 
proposition  vise-t-il  ? La  suite  de  l’exposé  montre  très  nettement  qu’il  a en  vue  la  pro- 
position relative  au  nouvel  alinéa  de  l’article  23. 


l’article  23h  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  HAYE 


H 


répugnance  à l’accepter,  elle  aurait  dû  signaler  ses  objections  avant  le 
vote  ou  tout  au  moins  formuler  des  réserves  avant  la  signature  de  la 
convention.  On  ne  peut  pas  faire  à ses  représentants  l’injure  de  penser 
qu’ils  ont  donné  leur  suffrage  à un  texte  dont  le  sens  leur  échappait. 

Il  est  peut-être  regrettable  que  la  nouvelle  disposition  ait  été  placée  là 
où  elle  se  trouve.  Etrangère  à l’hypothèse  de  l’invasion  ou  de  l’occupa- 
tion du  territoire  ennemi, elle  n’aurait  pas  dû  figurer  dans  un  Règlement 
relatif  à la  conduite  des  armées  en  campagne.  Il  y a là  un  défaut  de  mé- 
thode certain.  Mais  il  n’est  pas  sans  précédent.  La  Conférence  de  1899 
avait  inséré  dans  ce  même  Règlement,  sur  la  condition  des  belligérants 
internés  et  des  blessés  soignés  chez  les  neutres,  des  textes  (art.  57  à 
60)  qui  y étaient  fort  mal  placés  : il  n’y  a aucun  rapport  entre  la  situation 
des  neutres  et  les  instructions  à donner  aux  troupes.  Ce  n’était  pas  ce- 
pendant par  pure  inadvertance.  Au  début,  la  codification  des  lois  et  cou- 
tumes de  la  guerre  devait  faire  l’objet  d’an  instrument  unique.  Ce  fut 
sous  cette  forme  que  la  deuxième  Commission  de  la  Conférence  arrêta 
tout  d’abord  ses  résolutions  (v.  le  rapport  de  M.  Ed.  Rolin,  Conférence 
internationale  de  la  Paix , nouvelle  édition,  lre  partie,  p.  34  et  suiv.). 
Mais  après  coup,  pour  donner  satisfaction  à certaines  susceptibilités,  il 
a paru  « préférable  de  ne  pas  incorporer  dans  la  convention  elle-même 
le  texte  des  60  articles  adoptés  relativement  aux  lois  et  coutumes  de  la 
guerre,  et  de  leur  donner  la  forme  d’un  Règlement  séparé  qui  serait 
annexé  à la  convention  » (Rapport  oral  de  M.  Renault  sur  les  travaux 
du  Comité  de  rédaction,  ibid.,  p.  153).  Par  suite  de  cette  division,  les 
articles  57  à 60  auraient  dû,  logiquement,  être  distraits  du  Règlement. 
Néanmoins,  on  les  y a maintenus,  parce  qu’on  ne  savait  pas  où  les 
mettre.  Ils  ne  pouvaient  pas  figurer  dans  la  convention,  et  on  ne  voulait 
pas  les  supprimer  tout  à fait.  Il  aurait  fallu  les  insérer  dans  une  conven- 
tion spéciale  sur  les  droits  et  les  devoirs  des  puissances  neutres.  Impra- 
ticable, faute  de  temps,  en  1899,  cette  solution  a été  adoptée  en  1907. 
Une  aventure  analogue  est  arrivée  au  sujet  de  l’article  23h  . Le  texte 
proposé  par  l’Allemagne  a été  ajouté  à l’article  23,  parce  qu’on  ne  lui  a 
pas  trouvé  une  place  meilleure.  Disposition  de  détail,  il  ne  pouvait  pas 
prendre  rang  parmi  les  dispositions  générales  de  la  convention.  Un  lien 
artificiel  a paru  le  rattacher  à l’article  23  traitant  des  moyens  de  nuire 
interdits  aux  belligérants  : on  l’y  a inséré.  Logiquement,  il  aurait  dû  être 
compris  dans  une  convention  nouvelle,  portant  sur  l’ensemble  de  l'im- 
portante matière  des  effets  de  la  guerre  sur  les  contrats  privés.  La  Con- 
férence de  1907  ne  pouvait  pas  improviser  cette  vaste  étude.  Une  pro- 
chaine Conférence  pourra  l’entreprendre.  En  la  faisant  aboutirai  lui  sera 


12  l’article  23h  du  règlement  de  la  haye 

possible  d’alléger  le  Règlement  concernant  les  lois  et  coutumes  de  la 
guerre  d’un  texte  qui  lui  est  étranger. 

Si  l’on  peut,  au  point  de  vue  de  la  belle  ordonnance  des  textes,  regret- 
ter ces  accidents  de  rédaction,  on  ne  doit  pas  toutefois  en  exagérer  l’im- 
portance. Car  il  est  certain  que  la  forme,  si  défectueuse  soit-elle,  ne 
saurait  compromettre  le  fond  des  dispositions.  Après  1899,  nul  n’a  pu 
songer  à tirer  argument  de  la  place  donnée  aux  articles  57  à 60  pour  sou- 
tenir qu’ils  n’établissaient  pas  des  règles  obligatoires  pour  les  États.  Il 
n’est  pas  plus  admissible  aujourd’hui  de  prétendre  interpréter  l’arti- 
cle 23h  uniquement  d’après  sa  forme,  sans  tenir  compte  de  l’idée  libé- 
rale qui,  manifestement,  a présidé  à son  adoption. 

Tel  n’est  pas  cependant  l’avis  du  Foreign  Office.  Me  prenant  person- 
nellement à partie,  il  me  reproche  de  n’avoir  pas  vu  dans  le  fait  que  l’ar- 
ticle 23h  est  placé  là  où  il  se  trouve  la  preuve  qu’il  ne  comporte  pas 
l’interprétation  que  je  lui  ai  donnée  avec  la  quasi-unanimité  de  la  doc- 
trine. Qu’il  me  soit  permis  de  répéter,  en  me  couvrant  encore  de  l’auto- 
rité de  Vattel,  qu’  « il  faut  interpréter  un  acte  de  manière  qu’il  puisse 
avoir  son  effet  » et  que  si,  dans  l’espèce,  la  forme  devait  emporter  le 
fond,  l’article  23h  se  trouverait  « vain  et  illusoire  ». 

Il  reste  à souhaiter  que  le  dissentiment  qui  vient  de  se  manifester 
conserve,  grâce  au  maintien  de  la  paix,  une  portée  purement  doctrinale 
et  qu’il  fournisse  à la  troisième  Conférence  de  la  Paix  l’occasion  de  ré- 
gler la  question  des  effets  de  la  guerre  sur  les  rapports  privés. 

Quant  à présent,  on  doit  enregistrer  avec  plaisir  la  déclaration  du 
Foreign  Office  « que  les  anciennes  règles  semblent  difficilement  conci- 
liables avec  les  exigences  du  commerce  moderne  » et  savoir  gré  à 
notre  éminent  collègue,  M,  Oppenheim,  de  l’avoir  provoquée. 


Imp.  J.  Thevenot,  Saint-üizier  (Haute-Marne) 


SOMMAIRE  DU  N°  5. 

— 

Ed.  Engelhardt,  ministre  plénipotenti, 

Etude  historique  et  juridique  compar 

A.  Wahl,  agrégé  à la  Faculté  de  droit 
rances  maritimes  et  contre  l’incendie 
Etude  sur  l’enregistrement  des  polices  d’assurances  en  droit  international.  509 

C.  Dupuis,  secrétaire  général  et  maître  de  conférences  à l'Ecole  libre  des 
sciences  politiques.  — L’Institut  de  droit  international.  Session  de  Cam- 
bridge (août  1895) 527 

Chronique  des  faits  internationaux.  — Allemagne,  Autriche-Hongrie, 
France,  Grande-Bretagne  et  Roumanie:  Arrangements  commerciaux  de  fé- 
vrier-mars 1895  avec  la  Bulgarie  (p.  540).  — Belgique:  Conférence  inter- 
parlementaire pour  la  paix  et  l'arbitrage,  session  de  Bruxelles,  résolutions 
et  vœux  (p.  541).  — Belgique  et  France  : Arrangement  du  5 février  1895 
touchant  le  droit  de  préférence  réservé  à la  France  par  l’Association  inter- 
nationale du  Congo,  convention  de  limites  du  5 février  1895  (p.  54.  ).  — 

Corée  : Situation  internationale,  séjour  des  Chinois  en  Corée  (p.  55»  j.  — 
Costa-Rica  et  Salvador  : Traité  du  12  juin  1895,  clause  compromis:  oire, 
union  de  l’Amérique  centrale,  droit  d’asile,  droits  civils  et  politiques  exé- 
cution des  jugements,  bons  offices,  médiation,  responsabilité  pour  dom- 
mages subis,  extradition  (p.  552).  — Espagne  et  Japon  : Délimitation  des 
sphères  d’influence  (p.  556).  — Espagne  et  Maroc:  Modifications  du  traité 
de  Mérakesch,  envoi  d’une  ambassade  marocaine  à Madrid,  attentat  contre 
le  chef  de  cette  ambassade,  traité  additionnel  du  24  février  1895  (p.  556). 

— Etats-Unis  d’Amérique  et  Salvador  : Extradition,  traité,  dénonciation 
(p.  559).  — France  et  Grande-Bretagne  : Leurs  droits  sur  le  territoire  du 
bassin  du  Niger,  réunions  des  membres  de  la  Compagnie  royale  du  Niger 
et  de  la  Compagnie  française  de  l’Afrique  centrale,  discours  de  sir  George 
Taubman  Goldie  et  de  M.  Tharel  (p.  560).  — Guatémala  et  Mexique  : Fixa- 
tion des  limites,  traité  du  1er  avril  1895  (p.  564).  — Honduras,  Nicaragua 
et  Salvador  : Traité  d’union  (p.  567).  — Siam  : Convention  de  Genève, 

adhésion  (p.  570) 540 

Bulletin  bibliographique.  — (Livres  et  publications  périodiques).  . . . 570 

Documents.  — Monaco  et  Pays-Bas;  Grande-Bretagne  et  Russie  ; Grande- 
Bretagne  et  République  Sud-africaine 9 à 16 


RECUEIL  DES  TRAITÉS  DE  LA  FRANCE 

PUBLIÉ  SOUS  LES  AUSPICES  DU  MINISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES 
par  M.  de  CUSRCQ,  ancien  ministre  plénipotentiaire 

Vient  de  paraître  le  Tome  XIX  (1891-1893).  Prix  : 25  fr.  broché  ; 27,50  relié. 


UNIVER9ITY  OF  ILUNOI9-URBANA 


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Pages 

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RÉPERTOIRE  DES  TRAITÉS  DE  PAIX 

DE  COMMERCE,  D’ALLIANCE,  ETC. 

CONVENTIONS  ET  AUTRES  ACTES  CONCLUS  ENTRE  TOUTES  LES  PUISSANCES  DU  GLOBE 

DEPUIS  1867  JUSQU’A  nos  jours 

(Faisant  suite  au  Répertoire  de  M.  Tétot) 

TABLE  GÉNÉRALE  des  principaux  recueils  français  et  étrangers  donnant  l’indication  du 
volume  et  de  la  page  du  Recueil  où  se  trouve  le  texte  de  chaque  traité. 

Ouvrage  publié  sous  les  auspices  du  Ministère  des  Affaires  Étrangères 

Par  M.  GABRIEL  DE  RIBIER 

SOUS-DIRECTEUR  HONORAIRE  AU  MINISTÈRE  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES 

PARTIE  I : PARTIE  CHRONOLOGIQUE  (1867-1894).  - PARTIE  II  : PARTIE  ALPHABÉTIQUE  (sous  presse) 

Prix  des  2 volumes  : 30  francs. 


Imp.  G.  Saint-Aubin  et  Tlievenot.  — J.  Thevenot,  successeur,  Saint-Dizier  (H te-Marne).